Crimes fiscaux et blanchiment d’argent – Le nouveau cheval de bataille du GAFI

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Par Lorenzo CROCE, avocat au Barreau de Genève

 

Déjà très fortement mis à mal par la reprise de l’article 26 MC-OCDE dans les nouvelles CDI négociées par la Suisse, par l’abandon de la distinction entre évasion et fraude fiscale ainsi que par la divulgation des 4000 noms de clients UBS au fisc américain, le secret bancaire helvétique risque d’être définitivement mort et enterré dans les prochains mois suite à la nouvelle proposition fracassante du GAFI.

 

Le Groupe d’action financière (GAFI), dont le secrétariat est rattaché administrativement à l’OCDE, vient en effet d’établir un avant-projet prévoyant de qualifier les crimes fiscaux (Tax Crimes) d’infraction préalable au blanchiment d’argent. En clair, si une telle proposition devait aboutir, cela signifierait que toute personne qui aurait accepté en dépôt, aidé à transférer ou géré des fonds en sachant ou en devant présumer que ceux-ci provenaient d’infractions fiscales risquerait de se voir poursuivi pour blanchiment d’argent au sens de l’article 305bis CP. Les intermédiaires financiers, auraient quant à eux l’obligation d’annoncer systématiquement les soupçons d’infractions fiscales au Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS).

 

Bien qu’aucune décision formelle n’ait encore été prise, il a tout lieu de penser que l’assemblée plénière du GAFI adoptera cette proposition fin 2011, dans le cadre de sa révision partielle de ses standards en vue du quatrième cycle des évaluations mutuelles qui devrait commencer en 2013. Sur fond de crise financière, la pression internationale et notamment celle des pays du G20 est en effet grande. Car, il ne faut point s’y tromper, cette proposition ne vise pas à combattre le crime organisé. Il ne s’agit là que d’un pur prétexte. Au nom de la lutte contre le blanchiment d’argent, on vise en réalité à renflouer les caisses des Etats en transformant les banques et autres intermédiaires financiers en agents du fisc pour l’étranger. Ainsi, plus besoin de débourser des millions pour acheter des CD de données volées !

 

Cette criminalisation du monde économique n’est toutefois ni souhaitable, ni justifiée : Si l’on peut admettre que les canaux employés pour recycler des capitaux sont souvent les mêmes que ceux utilisés pour dissimuler de l’argent au fisc, la similarité entre délit fiscaux et blanchiment d’argent s’arrête là.

 

Le blanchiment d’argent consiste à réintroduire dans le circuit économique des fonds d’origine criminelle par des procédés faisant perdre la trace de l’argent.

 

Or, dans le cadre de fonds soustraits au fisc, ceux-ci ont clairement une origine légale (revenu, fortune, succession, donation etc.). Il ne s’agit pas d’occulter des valeurs patrimoniales illicites en leur conférant une apparente justification légale, mais d’éviter la mainmise des autorités fiscales sur des fonds ayant une provenance légale. Il apparait dès lors douteux que l’on puisse blanchir de l’argent provenant d’infractions fiscales.

 

Par ailleurs, en Suisse, seuls les crimes, soit les infractions passibles d’une peine privative de liberté de plus de trois ans, sont susceptibles de constituer des infractions préalables au délit de blanchiment d’argent. En conséquence, si la proposition du GAFI abouti, il conviendra d’ériger les délits fiscaux en crime. Or, la gravité de ceux-ci, en particulier l’évasion fiscale est sans commune mesure avec celle des autres infractions susceptibles de recyclage. Il y a là une véritable disproportion à mettre sur un même pied d’égalité le blanchiment d’argent provenant de crimes fiscaux et celui provenant du trafic de drogue, du terrorisme ou de la prostitution.

 

Quoi qu’il en soit, la mise en œuvre de cette proposition, risque de soulever d’importantes difficultés.

 

Tout d’abord, il conviendra de déterminer ce que l’on entend par « crimes fiscaux ». Le GAFI à cet égard, à volontairement renoncé à définir plus précisément cette notion – hormis le fait que tant les impôts directs qu’indirects seront visés – laissant le soin à chaque pays de décider en conformité avec son droit interne ce qu’il entend par ces termes. Que décidera donc la Suisse ? Fixera-t-elle des montants limites de soustraction au-delà desquelles on considérera qu’il s’agit de crimes ou édictera-t-elle un catalogue d’infractions ? L’évasion fiscale en fera-t-il partie et cas échéant, où sera la frontière entre planification fiscale, pratique légale, et évasion. D’après l’Ambassadeur Alexandre Karrer en charge du dossier de la Suisse auprès du GAFI « les crimes fiscaux doivent absolument être réservés à des infractions d’une extrême gravité comme des falsifications comptables ou des détournements de fonds ». On peut toutefois douter que la Suisse résiste face à la pression internationale et il y a des chances pour que l’évasion fiscale soit considérée comme infraction préalable au blanchiment d’argent.

 

L’adoption de la nouvelle règlementation posera également des problèmes en terme d’investigation : Pratiquement, comment un intermédiaire financier pourra-t-il s’assurer que les fonds reçus de son client ont été déclarés au fisc ? Conviendra-t-il de faire signer au client un formulaire type ou faudra-t-il solliciter du fisc étranger une attestation de déclaration d’avoirs, en sachant que les déclarations fiscales ne sont généralement émises que plusieurs années après l’acquisition des revenus. De même, comment un intermédiaire financier pourra-il mener les enquêtes nécessaires s’agissant de fonds transmis de générations en générations ?

 

Autant de questions qui n’ont à l’heure actuelle aucune réponse.

 

Sur le plan organisationnel, il conviendra dans tous les cas d’engager et de former un nombre important de collaborateurs et ce tant au niveau des autorités que des intermédiaires financiers. Cette mesure engendrera d’importants coûts supplémentaires qui seront directement répercutés sur le client. A cet égard, la compétitivité de la place financière helvétique risque d’être mise à mal car, à la différence de certains pays, la Suisse veut toujours faire figure de bon élève et il n’y a nul doute qu’elle appliquera rigoureusement cette nouvelle réglementation.

 

On la vu, il n’est ni justifié, ni souhaitable de soumettre les infractions fiscales aux articles 305bis et 305ter CP ainsi qu’à la LBA. La nouvelle proposition du GAFI vise uniquement à permettre l’acquisition de ressources par le fisc étranger et non à lutter contre le crime organisé. Pire encore, le risque d’affaiblir le système de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme est grand au vu du raz-de-marée de communications au MROS qui risque de se produire. Par ailleurs, au delà des coûts engendrés, cette proposition est extrêmement compliquée à mettre en œuvre en particulier pour les intermédiaires financiers qui ne dispose que de moyens d’investigation limités pour exercer leurs devoirs de diligence.

 

Au final, il existe d’autres solutions efficaces pour lutter activement contre les fraudeurs du fisc. La Suisse a d’ailleurs d’ores et déjà pris de telles mesures en accordant l’entraide non seulement en cas de fraude mais également d’évasion fiscale. Par ailleurs, la mise en place d’un impôt libératoire à la source (projet « Rubik »), actuellement discuté avec l’Allemagne et l’Angleterre, permettrait de résoudre définitivement le problème tout en sauvegardant le secret bancaire suisse. Il convient dès lors de privilégier cette approche plutôt que d’utiliser abusivement le système de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

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